Princesse Palatine

Une insoumise chez Louis XIV

Princesse Palatine

#1 Le regard espiègle

C'est sûrement parce que la Palatine se moquait du bégaiement du peintre Hyacinthe Rigaud que celui-ci lui a si bien refait le portrait.

Le regard franc, corpulente, la Palatine est représentée sans aucune idéalisation, ce qui est peu habituel dans les portraits de cour.

#2 Le voile noir

Certainement pas ! La Palatine porte ici ce voile de gaze noire comme symbole de son veuvage, mais cela fait déjà une dizaine d'années que son époux Philippe d'Orléans, le frère du roi, est mort.

Elle lui sera d'ailleurs fidèle toute sa vie, et ce, malgré les frasques de ce dernier, libertin et dépensier avec ses amants.

#3 La couronne

La main gauche posée sur la couronne rappelle bien entendu son appartenance à la famille royale.

Madame est blagueuse, certes, mais reste toutefois très à cheval sur son rang.

#4 Le manteau de la monarchie

Le manteau doublé d'hermine et brodé de fleurs de lys est l'emblème des rois capétiens dont descend son mari, son beau-frère Louis XIV et bien sûr ses enfants.

Portrait de la Princesse Palatine peint par Hyacinthe Rigaud en 1713, exposé actuellement au Château de Versailles.

Élisabeth-Charlotte de Bavière, dit princesse Palatine et duchesse d’Orléans, doit sa renommée moins pour ses titres de noblesse que pour sa gouaille légendaire et sa destinée hors du commun. Belle-sœur de Louis XIV, mère du futur régent et arrière-grand-mère de Marie-Antoinette, la Palatine détonne pourtant dans le décor fastueux d’un Versailles magnifié par notre imaginaire collectif.

Oubliez les airs majestueux de Lully et les figures esthétisées des grands peintres du Siècle d’Or pour plonger dans les récits vifs et truculents des correspondances de la Palatine. Celle qui n’hésite pas à surnommer la Maintenon de « vieille ordure » ou de « guenon » offre un témoignage sans fards et parfois comique, d’une cour qui est alors la plus brillante du monde. 

Madame surprend donc aujourd’hui tout autant qu’à son époque. Mais si elle a introduit, sans grand succès, sa choucroute natale à la table du roi de France, c’est ce naturel désarmant qui aura tissé entre elle et le souverain une amitié profonde. Reporter privilégiée au cœur de la famille royale, l’exceptionnelle destinée de Madame a teinté sa plume d’une verve inimitable qui redonne vie aux plus grands personnages du 17e siècle.

Au programme
Bienvenue dans la cour du roi

Madame Palatine,
portrait d'une commère de légende.

Liselotte, petite protestante de Heidelberg.

Pour comprendre le bagou tout particulier de notre princesse, il nous faut revenir à son enfance. Née en 1652 dans une famille protestante du sud-ouest de l’Allemagne, Liselotte, telle qu’on la surnomme alors, n’était aucunement destinée à épouser le frère du puissant roi Louis XIV.

Espiègle et naturelle, la petite Elisabeth aime cueillir du raisin, courir dans les champs et écouter les contes populaires de sa région. De constitution malingre aux premières années de sa vie, elle devient vite robuste et un tantinet masculine en grandissant. Elle dit d’elle-même dans une de ses correspondances :

« Il faut bien que je sois laide : je n’ai point de traits ; de petits yeux, un nez court et gros, des lèvres longues et plates ; tout cela ne peut former une physionomie. J’ai de grandes joues pendantes et un grand visage : cependant je suis très petite de taille, courte et grosse ; j’ai le corps et les cuisses courts : somme totale, je suis un petit laideron. Si je n’avais bon cœur, on ne me supporterait nulle part. Pour savoir si mes yeux annoncent de l’esprit, il faudrait les examiner au microscope ou avec des conserves ; autrement il serait difficile d’en juger. On ne trouverait probablement pas sur la terre des mains plus vilaines que les miennes. Le roi m’en a souvent fait l’observation, et m’a fait rire de bon cœur ; car, n’ayant pu me flatter, en conscience, d’avoir quelque chose de joli, j’ai pris le parti de rire la première de ma laideur : cela m’a très bien réussi, et j’ai souvent trouvé de quoi rire. »

Mais si Elisabeth-Charlotte ne brille pas par son physique, son éducation n’en a aucunement souffert. Fille de Charles 1er Louis et de la princesse Charlotte de Hesse-Cassel, Élisabeth-Charlotte, a été surtout élevée par sa tante Sophie, la duchesse de Hanovre, qui était une intellectuelle. Elle recevra aussi l’enseignement d’un précepteur français, langue parlée alors dans toutes les cours d’Europe, qu’elle maniera à merveille tout en conservant un accent allemand plutôt affirmé.

Pourtant, Liselotte grandit dans un contexte difficile et traversa même des périodes de grande frugalité. Son père est prince-électeur, prince allemand qui élisait l’empereur du Saint-Empire, mais il récupère son pays, le bas Palatinat, en mauvais état après une première occupation française très dure. Les famines sont telles que les études récentes ont mis en lumière des scènes de cannibalisme dans les campagnes environnant le château où vit alors notre
princesse.

Si Liselotte n’est pas privée de nourriture, son père reste toutefois très économe et choisit principalement la choucroute comme repas quotidien, ce dont Proust deux siècles plus tard, décrira en ces termes :

« Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles, mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »

La choucroute de la Palatine sera sa véritable madeleine de Proust
Philippe duc d'Orléans époux Palatine

Portrait du duc d’Orléans en robe à droite aux côtés de son frère Louis XIV, vers 1645.

Philippe d'Orléans & la Palatine : le mariage le plus dissonant de l'Histoire !

Sa vie bascule en 1671 à l’âge de 19 ans, lorsqu’elle est choisie par Louis XIV pour épouser en secondes noces son frère puîné le duc d’Orléans. Sans argent ni attraits, Élisabeth ne pouvait espérer un mariage plus favorable, mais les raisons politiques liées à cette décision lui échappent alors. 

Louis XIV organise en réalité sa politique des Réunions, une politique d’annexion des territoires frontaliers qui l’oppose à l’empereur du Saint-Empire romain germanique Léopold 1er. Le Palatinat où grandit Liselotte représente donc pour le roi de France une formidable enclave, un territoire proche des Pays-Bas, cédé par contrat de mariage à la couronne de France. 

Après 9 jours de voyage et beaucoup de larmes, Élisabeth arrive donc à Versailles où elle découvre son futur mari… et l’amour n’est pas au rendez-vous. Elle dira dans ses lettres : 

« Sans avoir l’air ignoble, Monsieur était petit et rondouillet, avec des cheveux et des sourcils très noirs, de grands yeux de couleur foncée, le visage long et mince, un grand nez et une bouche trop petite garnie de vilaines dents. En revanche les habits sont magnifiques. »
Princesse Palatine

Une description finalement plutôt mesurée lorsqu’on lit celle de Saint-Simon dans ses Mémoires : 

« C’était un petit homme ventru, monté sur des échasses tant ses souliers étaient hauts, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets et de pierreries partout, avec une longue perruque toute étalée devant, noire et poudrée et des rubans partout où il pouvait mettre, plein de sortes de parfums et en toutes choses la propreté même. »

Il faut donc souligner ici que Monsieur est gay et entretient un intérêt maladif pour tous les artifices vestimentaires et cosmétiques de son époque.

Habillé en fille depuis sa plus tendre enfance par décision de sa mère Anne d’Autriche et du cardinal Mazarin, le frère du roi ne devait représenter une menace politique pour la couronne. Le plonger dans l’oisiveté et l’entourer en permanence de ses favoris permettait de l’éloigner des tentations du pouvoir et d’éviter qu’il n’engendre des bâtards susceptibles de revendiquer un jour le trône.

Du côté du duc, la première impression sur la princesse n’est pas meilleure, il dit à ses mignons en l’apercevant : 

« Comment pourrais-je coucher avec elle ? » et l’appellera plus tard « Madame Lucifer ». Très vite, on murmure à la Cour que « Monsieur fait sa Madame et Madame fait son Monsieur ! ». Un couple tout à fait atypique qui aura cependant trois enfants.

La princesse Palatine, malgré les frasques de son époux et ses dépenses colossales qui auront fortement impacté la vie de famille, lui sera toutefois loyale toute sa vie. Pour préserver son honneur, elle brûlera même à sa mort les lettres sulfureuses qu’il avait reçu de ses amants.

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princesse palatine et louis xiv

La princesse Palatine a-t-elle eu un béguin pour Louis XIV ?

Déroutée par l’attitude de son époux, la princesse Palatine devient toutefois vite une célébrité à Versailles et pour cause : Louis XIV l’adore ! Franche et sans manières, elle l’accompagne à la chasse, jure et crache, mange à sa table et lui raconte toute sorte d’anecdotes incongrues sur la Cour et le personnel. « Madame le veut ! », répète-t-il constamment à ses sujets qui la surnomment « le paysan du Danube ».

Dans une de ses missives, elle raconte que, lors d’une de ses premières promenades nocturnes dans le jardin de Versailles, un garde lui barre le passage. Elle lui dit :

« "Bon Suisse, laissez-moi faire ma promenade, je suis la femme du frère du roi !
- Ah, parce que le roi a un frère ? demande le Suisse.
- Comment, vous ne savez pas cela ? Combien de temps y a-t-il donc que vous êtes au service de sa Majesté ?
- Trente ans, répond le garde.
- Comment, mais vous ne savez pas que le roi a un frère, mais on vous a fait prendre les armes quand il passe !
- Ah oui, quand on bat la caisse, je prends les armes, mais un peu pour n’importe qui, je n’ai jamais demandé si le roi avait une femme, des enfants ou un frère, je ne m’en inquiète pas."
J'ai fait rire de bon cœur le roi en lui rapportant ce dialogue. » ajoute-t-elle.

En somme, jamais le roi n’avait eu pareille compagnie. Le monarque, qui lui assène gentiment quelques coups de coude à la messe lorsqu’elle ronfle, l’affectionne sincèrement et conservera sa vie durant une profonde tendresse pour sa belle-sœur, dont il connaît les humeurs difficiles du mari. Une amitié réciproque teintée d’admiration et parfois d’amour. Les manières du souverain, sensiblement plus élégantes à son égard que celles de son conjoint, enchantent Madame dont elle raconte les détails à sa tante.

C’est un monarque intimiste et drôle que l’on découvre dans ses billets, un homme avec ses passions et ses faiblesses qui n’est pas l’image du despote que notre époque met en évidence. Fin stratège, séducteur et parfois injuste avec ceux qu’il aime, la Palatine n’aura de cesse de nourrir une fascination pour le « grand homme » dont elle décrit les manières dans ses courriers. On y apprend que le roi ôte son chapeau pour saluer les domestiques qu’il croise dans les couloirs, respecte les humbles et consulte beaucoup ses maîtresses qui font la pluie et le beau temps au palais.

Un jour, après un accident de cheval à la chasse, elle écrit à la duchesse de Hanovre : « Vous qui admirez si fort notre roi pour m’avoir si bien assistée lors de mes couches, vous l’aimerez encore dans cette rencontre, car c’est lui qui s’est trouvé le premier auprès de moi. Il était pâle comme la mort, et j’eus beau lui assurer que je ne m’étais fait aucun mal et que je n’étais pas tombée sur la tête, il n’a pas eu de repos qu’il ne m’eût lui-même visité la tête de tous côtés. Enfin, ayant trouvé que j’avais dit vrai, il me conduisit dans ma chambre, resta encore quelque temps auprès de moi pour voir si je ne m’évanouirais pas. » 

Mais si Madame est en faveur auprès du sire, cela n’est pas toujours le cas avec ses maîtresses, en particulier la Maintenon qu’elle déteste cordialement. Sachant pertinemment que ses courriers sont lus par le cabinet noir et parviennent aux oreilles de la favorite, elle en profite pour l’insulter avec véhémence : « vieille conne », « ordure du roi », « vieille ripopée »… Elle écrit encore : « Il y a un vieux proverbe allemand dont je comprends le sens à présent, et qui dit “Là où le diable ne peut pas atteindre, il envoie une vieille femme. » »

Palatine Maintenon Château de Versaillles

Il faut dire que le roi, pour mieux asseoir sa politique fraternelle, l’accable parfois rudement. Il n’hésite pas à soutenir les amants de son frère ou à l’exclure brutalement de ses cercles sans motif. Ses objectifs de conquête territoriales portent aussi un coup terrible à la princesse Palatine qui verra ses terres natales détruites par l’armée de l’homme qu’elle aimait tant. La Maintenon, qui n’apprécie guère l’affection que porte son amant pour sa belle-sœur, cristallise les tensions entre sa Majesté et la Palatine

Palatine contre Maintenon : une guerre des clans de 30 ans.

Les manœuvres de la Maintenon pour marier les « bâtards » légitimés du roi et de la Montespan avec les enfants de Madame révolte cette dernière. Intraitable sur le chapitre des mésalliances, la Palatine porte une grande importance au respect de son rang et à celui de l’étiquette. Aussi, lorsque la favorite qui considère ces rejetons comme les siens, souhaite leur assurer une position satisfaisante à la cour en les mariant avec les Petits-enfants de France, la Palatine voit rouge.

Ce bras de fer, dont Madame sortira en partie perdante, aura toutefois laissé à la postérité une anecdote a la hauteur de sa notoriété : la princesse, venant d’apprendre le consentement de son fils à cette union défavorable, accourut à la galerie des Glaces et gifla son fils devant toute la cour réunie. Cet épisode scandalisa le roi, à qui elle avait fait doublement outrage en lui tournant le dos ensuite, qui l’exclut quelque temps de son particulier sur les bons conseils de la Maintenon.

 

Madame n’avait pas la subtilité de ses adversaires pour arriver à ses fins, mais c’est aussi cela qui lui aura valu le respect du roi et l’affection du peuple. Les portraits qu’elle fait de ses contemporains sont si vifs et piquants que l’on ne peut qu’être saisis par leur réalisme parfois comique.

Voici justement la description qu’elle fait de sa bru :

« (...) son arrogance et sa mauvaise humeur sont insupportables, et sa figure est parfaitement déplaisante. Elle ressemble à un cul comme deux gouttes d’eau : elle est toute bistournée, avec cela une affreuse prononciation comme si elle avait toujours la bouche pleine de bouillie, et une tête qui branle sans cesse. Voilà le beau cadeau que la vieille ordure nous a fait. Vous pouvez vous figurer si l’on doit mener avec elle une vie agréable. »

Elle n’est pas plus tendre avec le frère, le duc du Maine, qu’elle appelle « le boiteux » en raison de son pied-bot :

« Lors même que le duc du Maine, au lieu d’être le fruit d’un double adultère, serait un prince légitime, je n’en voudrais pas pour mon gendre, non plus que sa sœur pour ma bru ; car il est affreusement laid, paralysé, et il joint encore à cela plusieurs autres mauvaises qualités ; ainsi il est avare en diable et n’a pas un bon naturel. »

Entre elle et l’épouse morganatique du roi, tout les oppose à commencer par la religion. La princesse, imprégnée des idées calvinistes de son enfance, voit la Maintenon comme une dévote qui isole le roi dans un carcan spirituel absurde et ennuyeux. Elle lui reproche aussi son rôle prépondérant dans la persécution des réformés : « Dans tous les sermons, on fait de grands compliments au roi pour avoir persécuté les pauvres réformés. On regarde cet acte comme quelque chose de grand et de beau, et celui qui voudrait désabuser le roi et lui montrer la vérité ne parviendrait pas à se faire croire. Il est vraiment bien déplorable que dans sa jeunesse on ne lui ait pas appris ce que c’est, à proprement parler, que la religion ; qu’on ne lui ait pas fait comprendre qu’elle est instituée plutôt pour entretenir l’union parmi les hommes que pour les faire se tourmenter et se persécuter les uns les autres. Mais quand on ne laisse gouverner sa raison que par des femmes ambitieuses ou des prêtres intéressés, il est rare qu’il en résulte quelque chose de bon. »

Partiellement réconciliées en 1701 à la mort de Monsieur, les deux femmes resteront finalement fâchées toute leur vie. Une rivalité qui tenait peut-être plus à l’amour qu’elles partageaient pour le même homme, que pour leurs désaccords religieux ou familiaux. À sa mort en 1719, elle dira « Je crains que la mort de la Maintenon ne soit comme celle de la Gorgone Méduse, qu’il n’en sorte beaucoup de monstres encore. Si au moins elle était morte il y a quelque trente ans, tous ces pauvres réformés seraient encore en France et leur temple de Charenton n’eût pas été rasé. »

princesse Élisabeth Charlotte de Bavière

5 choses à savoir sur la princesse Palatine.

Vous avez découvert la femme, son histoire et son esprit, mais ce personnage haut en couleurs cache encore bien des surprises ! On ne saurait que trop vous conseiller le livre de Christian Bouyer « La princesse Palatine » pour découvrir plus en détail cette dame hors du commun. Mais pour les plus impatients, voici déjà ici un bref aperçu du regard unique (et de la plume facétieuse) portée par Madame sur son époque.

#1 Un humour scatologique et beaucoup d'autodérision.

« Le Dauphin et moi, nous avons souvent parié à celui qui lâcherait le plus de vents et nous nous en sommes bien trouvés. En ces sortes de choses, tout dépend du point de vue où l’on se place, et je trouve ridicule que pour l’éternuement on dise « Dieu vous bénisse » avec de grandes révérences, tandis que pour les vents, lesquels nuisent dix fois plus et peuvent causer des coliques, il faille les retenir. »

Madame fait donc un concours de vents avec celui qui est alors destiné au trône de France et elle ne s’arrête pas là. Entre cancans et réflexions philosophiques, la Palatine prend plaisir à tourner en dérision l’excessive bienséance de la cour et de ses sujets qu’elle dit « puants » d’orgueil : 

« Soyez à table avec la meilleure compagnie du monde, qu’il vous prenne envie de chier, il vous faut aller chier. Soyez avec une jolie fille, une femme qui vous plaise ; qu’il vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou crever. Ah ! maudit chier, je ne sache point plus vilaine chose que de chier. Voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre, vous vous récriez : ah ! que cela serait joli si cela ne chiait pas ! Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats, aux gardes, à des porteurs de chaises, et à des gens de ce calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux d’ordre chient, les curés et les vicaires chient. »

La princesse Palatine ne manque pas non plus d’autodérision lorsqu’elle s’exprime sur son physique ou son mariage : « Si l’on peut recouvrer sa virginité après n’avoir pas pendant dix-neuf ans couché avec son mari, pour sûr je suis redevenue vierge », dit-elle encore sa tante. 

Une plume indocile qui cache aussi parfois une profonde tristesse. Arrachée aux siens, délaissée par son mari, accablée par la perte de son fils aîné de trois ans et cause indirecte du décès de son père qui mourra de chagrin après un second conflit avec la France, la Palatine traversera des épisodes de grande mélancolie. Ses correspondances frénétiques avec sa tante reflètent une nostalgie pour son pays dont elle regrette la bonhomie… et les saucisses ! 

Bonne vivante, mais néanmoins dotée d’une grande morale, la princesse semble « corsetée » par une culture du faste qui regorge de manigances et de faux-semblants.

#2 Une religion personnelle mêlée de réflexions philosophiques.

La princesse Palatine se convertit à la foi catholique à l’occasion de son mariage, mais restera bercée sa vie durant par les croyances protestantes de sa région natale. Aussi, elle tourne en ridicule les prêtres, les cérémonies religieuses et les messes qu’elle juge d’un ennui mortel : 

« Je pense bien comme vous que chacun se fait, dans son for intérieur, son petit religion à part soi (sic) comme monseigneur Filding. Je crois qu’il y a de la sincérité de la part des réformés à ne pas vouloir se laisser imposer une croyance qui leur est impossible de partager, et qu’ils ne seraient pas laissés expulser s’il ne fût agi que du prêche et des psaumes. En tout cas, les psaumes ne sont pas aussi désagréables à entendre que les voyelles d’une grand’messe. Rien ne m’impatiente comme c’est éternelle épellation de a a a a, e e e e, i i i i, o o o o ; bien souvent si j’osais, je me sauverais de l’église, tant cela m’est insupportable (…) Je sais bon gré au docteur Luther d’avoir composé de jolis chants, et je suis persuadée que c’est ce qui a donné à beaucoup de gens l’envie de se faire luthériens, car ces chants ont quelque chose de gai. » 

Opposée à la politique anti-protestante du roi, la Palatine n’est toutefois pas ancrée dans un calvinisme pur et se tient aux faits des différents courants philosophiques et religieux : quiétisme, athéisme, métempsychose, photiniens… Elle échange régulièrement avec Leibniz ou l’alchimiste belge Helmont sur ses questionnements spirituels : 

« L’opinion de M.Helmont ne veut pas m’entrer dans la tête, car il m’est impossible de comprendre ce qu’est l’âme, et comment elle peut passer dans un autre corps. À raisonner d’après mon méchant jugement, je croirais plutôt que tout périt quand nous mourons, et que chacun des éléments dont nous sommes composés reprend sa partie pour refaire quelque autre chose, un arbre, une herbe, n’importe quoi, qui sert de nouveau à nourrir les créatures vivantes. La grâce de Dieu, à ce qu’il me semble, peut seule nous faire croire que l’âme est immortelle ; car cela ne nous vient pas naturellement à l’esprit, surtout quand on voit ce que deviennent les gens après leur mort. Le Dieu tout-puissant est si incompréhensible, qu’il me paraît mesquin et contraire à l’idée de sa toute-puissance de vouloir l’enfermer dans les limites de notre ordre à nous. Nous autres hommes qui avons des règles, nous pouvons être bons ou méchants suivant que nous agissons conformément ou contrairement à ces règles ; mais qui peut imposer des lois au Tout-Puissant ? Ce qui prouve bien encore que nous ne pouvons pas comprendre ce qu’est la bonté de Dieu, c’est que notre foi nous enseigne qu'il a premièrement créé deux hommes auxquels il a donné lui-même l’occasion de faillir. Qu’avait-il besoin, en effet, de leur défendre de toucher à un arbre, et ensuite d’étendre sa malédiction sur tous ceux qui n’avaient pas péché, puisqu’ils n’étaient pas nés ? À notre compte, cela est précisément le contraire de la bonté et de la justice, attendu qu’il punit des gens qui n’en peuvent, et qui n’ont pas péché. »

Les réflexions de la Palatine, influencées par le courant philosophique des Lumières, ne l’amènent cependant jamais à remettre en doute le divin. Très critique envers l’athéisme, la Palatine ne reconsidère pas non plus l’ordre social établi et condamne les idées prérévolutionnaires qui émergent déjà outre-manche : « ces Anglais doivent être une méchante nation pour approuver qu’on mette à mort leurs propres rois, et je crains bien que le roi Guillaume ne finisse mal avec ces mauvaises gens. » Ironie de l’histoire, c’est son arrière-petite fille Marie-Antoinette qui recevra finalement le couperet de la Révolution.

#3 Une grande méfiance envers les médecins.

La médecine du 17ᵉ siècle se base encore sur la théorie des humeurs inspirée de l’antiquité grecque qui considère le corps humain comme le reflet de l’univers. Les maladies sont ainsi interprétées comme un déséquilibre des éléments eau, terre, air et feu qu’on corrige principalement par la diète, les lavements, saignées et autres potions ou vomitifs.

En 1676, Madame perd son fils aîné Alexandre-Louis d’Orléans à l’âge de trois ans d’une maladie qui n’a pas été diagnostiquée et la laissera dans un profond chagrin. Les médecins ayant comme à l’accoutumée appliqué sur son fils de nombreuses saignées, ont en réalité considérablement affaiblit l’enfant, ce dont Madame leur reprochera toute sa vie. Aussi, la Palatine conservera de cet épisode une méfiance profonde envers le corps médical, qu’elle tourne souvent en ridicule dans ses lettres : « quand les médecins mettent ainsi tout en latin, j’ai toujours envie de leur dire comme M. Grichar dans la comédie : « Eh, parle français, excrément de colège ! » ». 

Du respect, elle n’en a à peine plus pour le médecin du roi qu’elle décrit en ces termes « Le docteur est une figure dont vous aurez peine à vous faire une idée. Il a les jambes grêles comme celles d’un oiseau, toutes les dents le la mâchoire supérieure pourries et noires, les lèvres épaisses, ce qui lui rend la bouche saillante, les yeux couverts, la figure allongée, le teint bistre et l’air aussi méchant qu’il l’est en effet ; mais il a beaucoup d’esprit et il est très politique. »

La duchesse verra à peine les prémices de la médecine moderne et la mise en place progressive d’un protocole d’auscultation qui donnera naissance à la science du diagnostic.

madame Palatine Louis XIV

Décédée en 1722 à l’âge de 70 ans, celle qui n’aura jamais connu les grandes avancées médicales du 18 e siècle, aura bien fait de se tenir à distance des discours de son époque qui reposaient encore essentiellement sur la théorie et la tradition.

 

#4 Un amour pour la comédie et les arts.

Cela ne vous étonnera pas de savoir que la Palatine raffolait de la comédie et de Molière en particulier qui se moquait lui aussi des mêmes figures de son temps : « Les dévots sont maintenant puissants en France ; ils ne souffriraient pas qu’on imprimât un livre où ils seraient tournés en ridicule. Cela me rappelle ce que fit Molière. Comme on avait, dans le principe, défendu le Tartuffe, et que M. de Lamoignon, alors premier président de Paris, avait la réputation d’être très hypocrite, Molière vint sur le théâtre et dit : « Monsieur le premier président a défendu le Tartuffe, il ne veut pas qu’on le joue. » Cette équivoque fit rire tout le monde, car on vit bien que c’était par malice que Molière avait ainsi tourné son discours. »

 

Elle dit encore : « Nous avons failli n’avoir plus de comédie. La Sorbonne, pour plaire au roi, a voulu la faire défendre ; mais l’archevêque de Paris et le père de La Chaise doivent avoir dit au roi que ce serait trop dangereux (de bannir les divertissements honnêtes) parce que cela pousserait la jeunesse à plusieurs vices abominables. Ainsi, Dieu soit loué ! La comédie nous reste : cela contrarie extrêmement, à ce qu’on assure, la vielle ratatinée du grand homme,
attendu que c’était elle qui poussait à la suppression de la comédie. »

À l’ère de l’absolutisme louis-quatorzien, la comédie comme la littérature sont tolérées, mais fortement contrôlées par les censeurs royaux. De ce fait, si l’intérêt de la Palatine pour la comédie lui a été quelques fois reproché par le souverain, on imagine sans mal le désaccord du grand homme pour les lectures de Madame : « Je suis bien fâchée qu’il ne veuille pas faire imprimer le roman de Télémaque, car c’est un très beau et très agréable livre ; je l’ai lu en manuscrit. On pense qu’il sera imprimé en Hollande. On a voulu l’imprimer ici, et l’on en avait déjà publié un tome ; mais dès que cet archevêque l’eut appris, il fit acheter tous les exemplaires et défendit d’imprimer. On ne m’a prêté le manuscrit que par fragments et l’on ne m’en donnait un autre que lorsque j’avais lu le précédent. On m’a fait promettre aussi de ne pas les faire copier ; sans cela, je vous en aurais certainement envoyé une copie.  

L’œuvre que Fénelon avait composé pour les enfants royaux en tant que traité moral et politique, fut interdit par le roi à sa sortie, considéré comme un manifeste anti-absolutiste et une satire de son règne. Il peut être étonnant dès lors de connaître l’attrait de la duchesse pour ce roman qu’elle n’hésite pas à obtenir sous le manteau, au nez et à la barbe de sa Majesté. Mais notre indomptable Palatine porte en haute estime les valeurs morales et croit en la liberté de conscience défendue par la philosophie des Lumières, on n’en attendait pas moins d’elle. 

#5 Des anecdotes uniques sur la société de son époque.

Nous y voilà ! Rumeurs, ragots, cancans, racontars, potins, commérages… appelez ces badinages du nom que vous voudrez, Madame les connaît tous ! Ces anecdotes, au-delà de leur drôlerie, offrent un aperçu unique des mœurs de l’Ancien Régime. Mais à travers l’opulence de la noblesse, la complexité du protocole et le culte du beau, transparaît aussi l’ombre de la Révolution.

« Mme de Chartres, Madame la duchesse et la princesse de Conti sont toutes trois revenues enceintes du voyage (à Namur) ; le roi ne peut donc prétendre que ç'a été un voyage stérile. »

« Mme de Berry me désole avec ses mouches ; elle n'en met pas moins de dix à douze et cela lui va bien mal avec sa face rouge. »

« Avant-hier au soir, il y a eu à Marly une dispute horrible qui m'a fait bien rire de bon cœur. La grande princesse de Conti avait fait des reproches à Mme de Chartres et à Mme la duchesse de ce qu'elles s'enivrent ; elle les a appelées des sacs à vin. Là-dessus, les autres l'ont appelée, elle, sac à ordures, Voilà des disputes princières. »

“On ne parle ici que de la femme du conseiller qui a fait assassiner son mari, du courage avec lequel elle a subi la mort et de l'horreur de son supplice, car le bourreau l'a frappée cinq ou six fois avant d'avoir pu abattre la tête. Il y avait une telle foule de gens qui voulaient assister à l'exécution qu'on avait loué les fenêtres cinquante louis d'or. Elle s'appelait Mme Ticket. Elle s'était fait tirer son horoscope ; on lui avait prédit qu'elle atteindrait un âge fabuleux et vivrait fort heureuse pourvu qu'elle se gardât de la main d'un homme qui portait le même nom qu'elle. De son nom de jeune fille, elle s'appelait Carlier et il se trouve justement que le bourreau qui l'a décapitée porte le même nom. Cela est vraiment remarquable.”

À Madame Palatine...

Ah, Madame ! J’ai voulu lire quelques-unes de vos lettres, j’ai dévoré toute votre correspondance, j’ai imaginé faire un article, j’aurai pu finalement vous écrire un livre. 

Aussi, je n’ai pas été surprise d’apprendre qu’un astéroïde portait votre petit nom, Liselotte, en votre hommage. Il est bien vrai que vous êtes un astre, un monde à vous seule, que dis-je, un soleil ! N’en déplaise au roi, l’homme de votre vie, à qui l’histoire finalement en a donné le titre. 

L’ironie aura voulu que vous, qui n’étiez pas coquette, ait laissé à la postérité le nom d’une écharpe en zibeline que vous portiez souvent pour vous tenir chaud. Je vous imagine avec cette étoffe, Titi votre épagneul sur les genoux, et je comprends sans mal ces mots que le roi vous confiera peu avant sa mort « Madame, vous n’imaginez pas combien je vous aurai aimé. » 

Princesse Palatine : vos questions, nos réponses

La princesse Palatine est née dans le sud-ouest de l’Allemagne, dans le bas Palatinat, près des rives du Neckar.

Elle est appelée princesse Palatine, car elle est la fille du prince-électeur Charles 1er Louis.

Un prince-électeur élisait l’empereur du Saint-Empire (962-1806), un État issu de la décomposition de l’Empire carolingien.

La princesse Palatine sait quel est son rang et porte une grande importance à l’étiquette. Ses enfants sont les Petits-enfants de France, c’est-à-dire les enfants des fils de France (les fils du roi) autres que ceux du dauphin appelés enfants de France.

Ce titre leur donne une préséance sur les princes de sang qui sont des enfants de la famille royale conçus hors mariage, comme les enfants de Louis XIV avec Madame de Montespan.

Les enfants de la princesse Palatine peuvent en tant que petits-enfants de France être appelés « altesses royales », et sont dans la hiérarchie supérieurs aux enfants légitimés du roi.

L’anecdote de la gifle fait donc référence à la réaction de la Palatine lorsqu’elle apprend, devant toute la Cour, que son fils a accepté d’épouser une « bâtarde ». Une union qu’elle désapprouve, conclue entre le fils de la princesse Palatine, Philippe d’Orléans, futur régent du royaume de France avec Mademoiselle de Blois qui est issue d’une union doublement adultérine entre Louis XIV et la Montespan.

Son mari est Philippe d’Orléans, le frère du roi Louis XIV. 

Née en Allemagne, elle disposera en France de plusieurs résidences et appartements et vécut notamment au château de Versailles et au château de Saint-Cloud.

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