Que symbolise le bonnet phrygien ?

Avant de coiffer les têtes de Bardot, Deneuve, Laetitia Casta et du Grand Schtroumpf, le bonnet phrygien est dans la Rome antique le signe des affranchis. Mais notre bonnet révolutionnaire n’a pourtant pas toujours été phrygien !

“Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous”, disait Paul Eluard et c’est un peu le cas de notre symbole national. Mariage du bonnet rouge porté par les pauvres et du “pileus” romain des anciens esclaves, le bonnet phrygien devient une coiffure insurrectionnelle plantée parfois au bout d’une pique, l’arme des prolétaires.

Pourtant, c’est en partie Louis XVI qui élèvera le bonnet phrygien au statut d’emblème, avant d’être guillotiné le 21 janvier 1793. Vous l’aurez compris, la coiffe républicaine a connu une enfance mouvementée qui repose en grande partie sur une sombre histoire de culottes. On vous explique.

Au programme

Le symbole du bonnet phrygien chez les Révolutionnaires

Le 14 juillet 1789 sonne la prise de la Bastille. Cet événement qui a peu d’importance sur le plan strictement militaire revêt en revanche une force symbolique sans précédent : l’opposition du peuple à l’autorité du roi et par extension à la souveraineté monarchique. Rappelez-vous ces peintures et ces films qui retracent l’époque révolutionnaire où l’on voit le peuple belliqueux brandissant des piques dans les rues de Paris. C’est sur une de ces piques que la tête du gouverneur de la Bastille, le marquis de Launay, sera fixée et promenée par les émeutiers.
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Reproduction photographique d’une peinture de la prise de la Bastille par Paul Delaroche (vers 1853 – 1858), photographié par Robert Jefferson.


La pique de la Liberté devient vite, en opposition à l’épée des nobles, l’arme des roturiers dont font partie les “sans-culottes”, les extrémistes révolutionnaires. Faciles à concevoir, la légende raconte même que les ouvriers du fer ont pu en réaliser 50 000 en moins de 48h à remettre aux insurgés.

Ces révolutionnaires étaient pour beaucoup coiffés du bonnet rouge des pauvres qui évoque celui des esclaves affranchis de la Rome antique. Cette conjonction de différentes allégories émerge dans un contexte de rejet des symboles liés à l’Ancien Régime que sont la couronne, le sceptre, l’épée de France, la main de la justice ou encore la fleur de lys.

Le bonnet phrygien ou l'emblème de la lutte des classes

Pas d’anachronisme ! La lutte des classes ne devient un modèle théorique qu’au XIXe siècle sous la plume de l’historien François Guizot, emprunté plus tard par Karl Marx. Mais la lutte des classes désigne néanmoins une organisation sociale beaucoup plus ancienne qui repose sur une société hiérarchisée comme l’était l’Ancien Régime.

Grosso modo, cette société se résume au clergé, à la noblesse et au Tiers État, mais ne vous y trompez pas ! Qui dit Tiers État, ne dit pas nécessairement pauvres, certains bourgeois sont riches et jouissent de grandes prérogatives qu’ils achètent le plus souvent. C’est ainsi que naît la noblesse de robe, des bourgeois anoblis qui passent du Tiers État à la noblesse ; la robe faisant alors référence à leur fonction de magistrat.

Le Bal Paré par Antoine Jean Duclos, 1774.
Crédits : Harris Brisbane Dick Fund, 1933.

Ce rare exemplaire de bonnet révolutionnaire (1790) était porté par les membres de la Garde nationale, il comporte une broderie représentant le bonnet phrygien sur une pique entourée de fagots de bois, symbole d’unité et d’autorité dans la Rome antique. La garde nationale est une force de police créée en juillet 1789 qui joua un rôle prépondérant pendant la période révolutionnaire.

Crédits : Alfred Z. Solomon-Janet A. Sloane Endowment Fund, 2015.

Soit, mais que devient notre bonnet phrygien dans tout cela, me direz-vous ! Revenons d’abord à nos culottes. Sous l’Ancien Régime, la culotte est un vêtement masculin des classes aisées que l’on porte avec des bas. Par mépris, certains hommes de pouvoir, nobles ou bourgeois, appelleront dès le début de la Révolution les manifestants prolétaires, habillés de pantalons, des “sans-culottes”.

Au cœur de ces tensions, le bonnet phrygien apparaît peu à peu comme une revendication, parfois violente, qui cherche à inverser l’autorité. Accessoire emblématique du bouffon Janot dans les salles de théâtre de l’Ancien Régime, le bonnet rouge passe d’un objet comique stigmatisant à un symbole politique et patriotique.

Le bonnet phrygien comme symbole politique et patriotique

« La Bastille demolite », vers 1790, Angleterre. Cette pièce de coton imprimée outre-Manche illustre la démolition de la Bastille initiée par Louis XVI dès 15 juillet 1789. Ici, les emblèmes de la monarchie côtoient ceux de la Révolution dont la pique et le bonnet phrygien. Cette association de symboles souligne une tentative de conciliation politique de la part du monarque qui reconnaît d’ailleurs ce même jour  l’existence et la légitimité de l’Assemblée nationale.
Crédits : Don de Robert Allerton

Le bonnet phrygien encore timide lors de la prise de la Bastille n’est déjà plus un couvre-chef comme les autres quelques mois plus tard. Parfois frappé de la cocarde bleu-blanc-rouge qui inspirera le drapeau français, le bonnet de la Liberté devient une coiffure patriotique qui défie l’aristocratie.

 

Très en vogue en 1791, il passera de mode peu à peu au cours de l’année 1792 en tant qu’accessoire vestimentaire, sans perdre en rien toutefois sa charge symbolique. Il faut dire que le bonnet phrygien s’inscrit désormais dans une tradition iconographique forte qui rappelle des prises de pouvoir plus anciennes : les assassinats de Jules César et celui d’Alexandre de Médicis. 

Eh oui, notre bonnet national a déjà revêtu plus d’une fois en Italie le symbole de bonnet de la Liberté ! En l’an 42 av. J.-C. déjà lorsque Brutus, fils et assassin de Jules César, fait frapper la monnaie d’un bonnet phrygien entouré de deux poignards pour symboliser l’affranchissement de la dictature. Cette association de symboles sera récupérée ensuite à l’identique en 1537 par Lorenzino de Médicis en référence au meurtre de son cousin Alexandre.

Antoine Tournon dans la revue Révolutions de Paris du 17 mars 1792 prévient que “ce bonnet rouge de laine sera porté par des ministres et aura ses grandes entrées chez le roi ; Marie-Antoinette, votre digne maîtresse, se verra elle-même obligée de respecter ce bonnet rouge, auquel la nation entière rendra hommage plus qu’à la couronne.” Et c’est précisément ce qui aura lieu le 20 juin 1792.

Pièce de monnaie frappée en l’an 43/42 avant notre ère, sous le règne de Brutus. On y voit le bonnet phrygien entouré de deux dagues. « Denarius of L. Plaetorius Cestianus for Brutus, Moving Mint (Issued by L. Plaetorius Cestianus)(L. Junius Brutus) , 1972.244,” Harvard Art Museums collections online, Sep 12, 2024, https://hvrd.art/o/195435.

bonnet phrygien Louis XVI

Couvercle de boîte représentant le roi Louis XVI coiffé du bonnet phrygien frappé de la cocarde, 1789. Crédits : Bequest of Mary Martin, 1938

Ce jour historique marque l’invasion du peuple parisien dans le palais des Tuileries où vit alors en résidence surveillée la famille royale. Les révolutionnaires, mécontents des actions politiques du roi, le somment alors de porter le bonnet phrygien et de boire à la santé de la Nation. Une mise en scène qui n’est pas tant une menace qu’une humiliation pour le roi qui reconnaît par ce geste l’autorité supérieure de la Nation sur celle de la couronne. Trois mois plus tard presque jour pour jour naît la Première République.

bonnet phrygien république francaise

La République Française par Pierre Paul Prud’hon, 1848. Crédits : Don de Frank Anderson Trapp

Que symbolise le bonnet phrygien aujourd’hui dans le monde ?

Fixé par la Convention, le sceau de la Première République représente une femme, allégorie de la Liberté, tenant à la main une pique surmontée du bonnet de la liberté. Ces deux symboles que sont la pique et le bonnet phrygien investiront désormais tous les documents officiels, peintures et statues en France… et à l’étranger.

Il faut dire que la Révolution française, encore plus peut-être que la Glorieuse Révolution en Angleterre (1688) ou la guerre d’indépendance des États-Unis (1775-1783) a profondément marqué l’Histoire du monde. Entendons-nous bien, d’un point de vue strictement historique ou politique, comparer l’importance de ces événements n’a véritablement aucun fondement. En revanche, la Révolution française aura construit un message révolutionnaire d’une puissance sémiotique incontestable, dont le bonnet phrygien constitue une des icônes.

Ce langage révolutionnaire est d’autant plus fort qu’il s’inscrit quelques décennies à peine après le Grand Siècle, l’âge d’or de la monarchie française. Ces symboles de la Révolution, tiraillés entre les revendications humanistes d’une part et les excès de la Terreur de l’autre, ont eux marqué irrémédiablement l’Histoire du monde.

De ce fait aujourd’hui, le bonnet phrygien, la pique de la Liberté, ou l’image de cette femme qui personnifie tantôt la République, tantôt la Nation, la Liberté ou la Raison sont devenus des emblèmes récurrents des républiques d’Amérique latine. Peut-être un jour, lors d’une excursion en Argentine, en Colombie ou au Paraguay, vous apercevrez ce fameux bonnet de la Liberté porté en Phrygie, il y a plus de 2000 ans. Bonnet des hommes libres, des pauvres, des révolutionnaires et finalement bonnet républicain, le bonnet phrygien n’a sûrement pas fini de faire parler de lui.

Photo 1 : paquet d’un jeu de cartes publicitaires de 1889 pour les cigarettes Allen & Ginter représentant le président de la République de Colombie. Crédits : The Jefferson R. Burdick Collection, Gift of Jefferson R. Burdick

Photo 2 : Liberty, vers 1800. Cette illustration représente l’allégorie de la Liberté piétinant la clé de la prison de la Bastille. On aperçoit au loin le port de Boston d’où est partie la flotte britannique.

Que symbolise le bonnet phrygien : vos questions, nos réponses

Comme son nom l’indique, l’origine du bonnet phrygien semble remonter à la région de Phrygie, en Anatolie actuelle. Il est toutefois possible qu’il soit plus ancien, car on le retrouve chez de nombreux peuples indo-européens comme les Traces et les Scythes, ainsi que sur des représentations de divinités perses.

Le bonnet phrygien de la Révolution fait aussi référence au bonnet porté par les esclaves affranchis dans l’empire romain. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il est porté en symbole. Durant la Guerre d’indépendance des États-Unis déjà, quelques années plus tôt, il fut utilisé comme signe d’indépendance vis-à-vis de l’occupant anglais.

La femme, Marianne, est une allégorie de la Nation, de la République et de la Liberté. La coiffer du bonnet révolutionnaire est une association de symboles qui fait référence à la lutte et au progrès. Celle-ci tient parfois aussi à la main le drapeau tricolore.

Le bonnet phrygien est devenu un symbole en France quelques mois seulement après la Révolution. Il fait référence au bonnet rouge des pauvres porté par de nombreux révolutionnaires lors de la prise de la Bastille. Quelques mois plus tard, il recouvre une charge symbolique plus forte, car le rapprochement est fait entre le bonnet des pauvres et celui utilisé lors des cérémonies d’affranchissement des esclaves à Rome. Mais le bonnet phrygien a déjà été un symbole de liberté dans d’autres pays : aux États-Unis, lors de la Guerre d’Indépendance et en Italie dès l’Antiquité lors de l’assassinat de Jules César, repris plus tard par Alexandre de Médicis.

Bibliographie :

  • Antoine Tournon, Révolutions de Paris, dédiées à la Nation, Paris, 17 mars 1792
  • Michel Pastoureau, Les Emblèmes de la France, éditions Bonneton, 1998
  • Bernard Richard, Les Emblèmes de la République, CNRS éd., 2012

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